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Le Rayon Vert

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Cawoyin
Japan Nyan
Cawoyin
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MessageSujet: Le Rayon Vert Le Rayon Vert EmptyDim 29 Sep - 22:12

J'ai repris un texte que j'avais écrit sur le thème "Horreur" pour un concours, il n'a pas été retenu mais c'est mon texte le plus aboutit à ce jour, j'espère que certain auront le courage de me lire ;)

Le Rayon Vert
 
***
 
J’ai l’esprit d’une femme mais j’ai perdu la féminité de mon corps. Peut- être suis-je redevenue moi-même maintenant? Je ne sais plus comment les gens me voient. Comme un être entre deux sexes peut-être... Pourquoi est-ce arrivé à moi ? Une question à hanter plus d'un. Parce que c’est ainsi ? Si seulement cela suffisait. J’ai vécu des choses dures et marquantes à jamais. Je m’appelle Genna Schmet, j’ai 30 ans et cela fait des années que je cache la vérité sur mon passé. Aujourd’hui cela fait exactement 10 ans que c’est arrivé et j’ai décidé d’enfin livrer mon histoire.
L'horreur : savez-vous ce que cela signifie ? J'étais pourtant armée, je sentais que cela allait arriver. Mais les mots, les paroles, un regard… armes affutées pour corrompre toute personne, même théoriquement préparée au pire. Mais je l’aimais, elle avait été ma sauveuse au départ, elle m’avait tout appris, même la façon de me détruire… Comment aurais-je pu l’attaquer ? C’est ce que je pensais quand je lisais sa lettre.
Je savais pourtant comment elle procédait, je le savais car je l'avais vu. Je l'avais entendue tellement de fois, et je savais que je serais bien obligée de subir le prix d’en savoir trop. De brebis égarée vous devenez une brebis sauvée puis un mouton aveugle… Vous vous feriez vomir de dégoût de l’avoir soutenue et aidée. Mais vous ne le savez pas, vous ne vous en rendez pas compte. Pas encore…
Qui saura expliquer comment il a sombré dans le monde obscur de la drogue, comment il s'est mis à boire, ou pourquoi il a suivi ce groupe violent et dépravé ? Quand on est pris dans le cercle infernal du danger, du malheur et de l'horreur, on ne le réalise qu'une fois qu'on ne peut plus en sortir. On se dit qu’il est trop tard. Mais retenez ceci, vous qui me lisez, il n’est jamais trop tard pour se sauver.
            Je ne sais plus comment je l'ai rencontrée, c’est elle qui m’a trouvée. Je ne peux plus vous dire son nom, je ne m’en souviens plus, et je crois ne l’avoir jamais vraiment su. Je l’appelais par un surnom, mais sans l’intimité que donne ce genre de nom. Crystal était son nom d’emprunt. Froide, insensible et jamais déstabilisée. Elle possédait une main aussi forte et coupante qu’un diamant affuté dissimulée dans un gant de velours. Vous ne pensez pas que les femmes peuvent être aussi mauvaises ? Vous ne pensez au Mal que sous la forme d’un homme, vous êtes tous aussi naïfs. On nous a tellement montré les femmes comme les faibles de tous les Hommes. C'est tellement simple d'être une femme vile, soyez belle, coquette, apprenez à sourire, parlez avec élégance et vous endormez la vigilance de tous. Oui, c'était une femme, oui j'en suis une. Elle m'a appris à devenir une « femme serpent », son expression favorite. Nous nous faufilions près de notre victime, discrètement et sensuellement. Susurrant silencieusement nous nous faisions des amis futiles et des contacts utiles. Puis venait le moment de choisir la proie, de la guetter et d'un geste d’attaquer. Elle ne laissait aucunes traces derrière elle. J'ai toujours été derrière, présente dans l’ombre pour couvrir ses arrières. Nous fonctionnions par pair, c’était mon alter ego.
            J'ai été souillée de l'intérieur, des charognards n’auraient pas touché à mon corps ou à mon âme... Je posais la bombe à retardement, la lettre qui faisait sortir les cibles de leur calme vie. Une lettre, ou parfois un appel, et surtout : des mots. Ceux que chacun attendent, qui délivrent, qui nourrissent notre curiosité. Ah ! Notre curiosité, notre pire défaut ! Elle était douée, elle était instruite et elle a toujours su utiliser habilement ses capacités intellectuelles pour tout contrôler. Pour que tout se passe comme sur son plan, elle devait avoir tout compris de la cible et de la manière de la maitriser. Je l'aimais tant. J’étais si admirative de son talent de manipulatrice, elle me fascinait. C’était mon mentor, mon idéal et j’aurais tout fait pour qu’elle puisse toujours briller autant à mes yeux… Elle me haïssait tout autant, mais elle se servait de moi. De ce fait, j’étais connectée à elle d’une manière particulière mais qui me permettait de la sentir, de la comprendre, d’être à ses côté malgré le fait qu’elle ne veuille pas de moi.
Connectée nous l’étions comme des êtres de même sang. Je sentais ses émotions et sans me l’avouer, je me délectais de ses sentiments si mauvais. J'étais folle, je le suis toujours je pense, je le cache juste beaucoup mieux. Je le pense encore, même si je ne suis plus la même.
Un jour j’ai reçu une lettre, La lettre. Je vous assure, moi aussi… et d’alter ego je devenais victime. J’ai suivi son piège comme prévu car je me devais de suivre son plan. La curiosité est si perverse. Je vous le disais, la curiosité est notre point faible à tous. On veut savoir ce qu’il y aura après, on se pose des questions et on cède. On se dit « pourquoi pas, je ne perds rien à aller voir. » Si seulement vous saviez ce que vous alliez perdre…
Je m’étais dit qu'elle n'oserait pas faire la même manœuvre avec moi, car malgré tout, j’espérais un peu d'originalité. C'est tordu, mais quitte à souffrir à mon tour, je souhaitais rester unique à ses yeux, même dans la mort. Sa lettre me déçue. Attirée par ce qui allait se passer tout de même, je sortais, comme tous les autres qui n'étaient jamais rentrés. Je suivais l’itinéraire prescrit. Elle choisissait cependant toujours un chemin différent, pour arriver au même point. C’était son originalité, son seul petit plaisir innocent. L’itinéraire ne variait jamais du tout au tout, parfois ce n’était différent que par un raccourci en plus, un léger détour, un passage d’un certain côté du trottoir … Mon chemin était cependant unique, bien que la technique utilisée soit toujours la même. Elle m’a fait passer sur la promenade, face à l’océan. Nous nous étions installée dans une ville côtière de façon à avoir un choix de proies variées et nombreuses. A ce moment je me suis arrêtée face à l’océan, le vent contre ma peau. Je désobéissais d’une certaine façon, elle le saurait car elle verrait que j’étais plus longue à arriver que dans ses calculs. Mais je m’en inquiétais peu, j’allais payer de toute façon, m’arrêtant ou non.
Le soleil se couchait, il faisait chaud, les gens parlaient, criaient, riaient, vivaient. Mes yeux suivaient la course du soleil se couchant dans ses draps d’écume. J’avais l’âme poétique, voire mélancolique. C’était beau, je n’avais pas l’habitude, et je me surpris à sourire timidement. J’aperçus le rayon vert si rare, la dernière seconde de lumière solaire avant l’arrivée de la nuit couvrant la journée passée… J’étais emplie du sentiment de sérénité d’un condamné face à sa mort prochaine. Mais lorsque ce rayon traversa mon regard, quelque chose se déclencha en moi. C’était insignifiant, je ne saurais pas l’exprimer, mais il se passa quelque chose. Cet environnement vivant, heureux, innocent, bruyant avait aussi joué un rôle dans ce phénomène. Sur le moment, je ne m’attardais pas dessus. Je continuais donc ma route, passant devant un fleuriste, un bar, un lieu désert et boisé, dans une rue sale, et enfin j’arrivais au lieu de rendez-vous.
Et son odeur apparue, forte, fétide, envoutante. De l'opium brut, l'odeur délicieuse de l'interdit, de la limite.
 
            Elle nous accueillait dans sa merveilleuse serre. Crystal avait dans sa vie malsaine réalisé une chose magnifique. Aussi paradoxale que cela puisse paraitre, cette serre a été le lieu d’une création naturelle splendide. Elle était surmontée d’un grand dôme de verre, les carreaux légèrement fumés faisaient passer une lumière douce, donnant l’impression que tous les sons seraient atténués, déposés dans une douce étoffe de soie. On y entrait par une grande porte en verre, surmontée d’une armature en fer forgé, rouillée et impressionnante. On pouvait voir de l’extérieur une vue d’ensemble de la serre. En entrant, nos yeux étaient attirés en premier par l’espace vide. Les fleurs bien que nombreuses et disposées contre les parois, n’étaient pas mises en évidence. Cet espace laissait libre cours à un afflux de lumière, comme si celle-ci voulait prendre tout l’espace, remplir, envahir la serre. Et combattant cette lumière, il y avait toutes sortes de fleurs, de toutes les couleurs, de toutes les formes, formant un ensemble oppressant. Aucun espace libre entre les violettes, les roses, les pétunias, les jacinthes... Mais on pouvait remarquer la prédominance d’une fleur en particulier, la tulipe. On sentait qu’un esprit maniaque gardait cet endroit. Les fleurs étaient, malgré leur profusion, toutes rangées dans un alignement parfait. De la porte d’entrée jusqu’au fond du lieu se déployait un dégradé du blanc le plus pur au noir le plus foncé. Les fleurs étaient évidemment les éléments principaux de son antre de verre, mais tourbillonnant par centaines, des papillons animaient l’endroit. De toutes les couleurs, de toutes les formes, ces papillons magnifiques apportaient de la vie dans cette serre silencieuse. Du moins c’était ce que l’on pensait en entrant dans la serre et les voyant virevolter sous cette coupole immense. Mais avancez-vous un peu, et vous retrouverez rapidement la marque funèbre de Crystal. Ces magnifiques et rares papillons avaient une vie éphémère, et tapissant le sol de la serre, ces insectes laissaient leur empreinte en offrant par leurs cadavres un tapis délicat et désagréable. La pépinière gardait ainsi cette atmosphère particulière, où, malgré les papillons vivants et défunts, les fleurs en abondance, régnait un silence et un manque de vie oppressant. Tout le centre de la structure de verre était vide, un grand espace où trônait un imposant fauteuil d’osier. Juste au dessus de celui-ci, la verrière n’était plus opaque, c’était un puits de lumière… Le seul endroit offrant un sentiment de sérénité. Un sentiment de sagesse absolue, comme un autel où l’on se ferait pardonner nos péchés.
            Un écriteau était pendu face à la porte d’entrée, attaché sur la vitre du fond. On pouvait y lire une phrase, tirée de la Bible, gravée dans un beau bois exotique vernis. Il était très grand, on le lisait de l’entrée. Il donnait le ton. C’était un lieu, malsain et sacré. Un lieu d’expérimentation, de travail de la nature, de travail de l’Homme, de création et de destruction. Je ne m’y étais jamais attardée à vrai dire mais, à cet instant, je fus touchée. Je sentais qu’elle les avait choisis pour leurs forces particulières et le sens que chacun pouvait y donner. Voici les vers exposés :
«  Et j'ai appliqué mon cœur à connaître la sagesse, à connaître l'inconstance et la folie ; j'ai compris que cela aussi était la poursuite du vent. Car avec beaucoup de sagesse on a beaucoup de chagrin, et celui qui augmente sa connaissance augmente sa douleur. »
Une végétation luxuriante, des odeurs inconnues, des papillons miroitants, le puits de lumière, l’écriteau… l'endroit entier était envouté. En se concentrant, on sentait derrière les effluves de la serre, le souffle faible de la mort, les fleurs respiraient, inspirées par le râle de l'agonie. Je tournais le regard sur mon mentor qui n’avait pas bougé de sa place attitrée. Bien droite à côté des tulipes noires au fond de la serre, elle observait. A ce moment, je souris car je connaissais tout, et le plus beau c’est qu’elle le savait aussi. Elle au contraire ne souriait jamais dans la serre. C'est à cet endroit que les proies prenaient peur, c'est ici, qu’elle, elle jouissait. Lui décrocher un sourire dans son antre était impossible, elle devenait une artiste possédée, seule, impossible à déconcentrer.
            Vous devez vous demander à présent quel est le lien entre cette serre merveilleusement inquiétante et les crimes que j’ai évoqués. Crystal était une femme très érudite, elle avait une âme mi-littéraire passionnée mi-savant-fou, et ce mélange avait fait émerger en elle une seule obsession. Je ne sais pas quand cela lui est arrivé, mais il y a plusieurs années elle eut la révélation qui la changea. Elle devait créer une osmose entre la beauté parfaite des fleurs et la mort des hommes. Tout ce qu’elle voulait c’était se servir du corps d’hommes et de femmes particuliers, préalablement choisis, comme engrais pour ses fleurs. Elle les appelait amoureusement ses « fleurs du mal ». Petit à petit cette obsession prit sa vie, et sa seule raison de vivre était de faire ressortir dans ses fleurs l’âme des morts. Autant ce projet pouvait sembler dénué de sens, autant pour une jeune fille comme moi, perdue, elle était le génie de ce monde réussissant à faire revivre les morts dans ces plantes. Je repensais à tout ceci plus concrètement maintenant que je prévoyais de devenir poussière de tulipe. Je réalisais que tout perdait petit à petit son sens. Aussi bien ma vie avec elle, que sa serre… Une lucidité étrange prenait place en moi, et Crystal me faisait face tout aussi confiante qu’à son habitude.
 
***
 
            Je m’étais rapprochée d’elle, je voulais la dévisager, me souvenir jusque dans ma mort de chaque trait de son visage, de son âme.
Je la regardais. Je ne voyais dans ses yeux qu’un regard désabusé. Elle avait pourtant les yeux gris-vert, très clairs, son atout, sa carte maitresse dont elle jouait avec intelligence. Un soir son regard était rieur, la veille mélancolique et le lendemain serein. Moi je n’y voyais qu’une pupille noire, profonde, engloutissant le bonheur alentour. J’écoutais. Sa respiration était moins contrôlée qu’à l’habitude. L’excitation en vue de l’application d’un plan parfait ? L’exaltation de voir son jouet enfin pris au piège, de pouvoir l’écraser, lui donner l’absolution avant sa fin ?
Au fil du temps, j’avais senti que mon caractère, mon physique d’enfant sensible l’inspirait pour détruire. Elle puisait dans mon innocence pour toucher ses victimes. Elle rappelait les bonheurs partagés, les moments oubliés, l’homme veuf pleurait et se sentait en confiance, ayant trouvé quelqu’un pour le soutenir, l’aider. Et c’est là qu’elle attaquait. Elle inventait un amant, elle inventait le goût du jeu, elle inventait les mensonges si facilement avalés. Elle le faisait culpabiliser. Je savais tout ça, je l’inspirais. Je l’inspirais pour trouver les victimes avec des blessures profondes, je l’inspirais pour trouver leur point faible, leur plaie douloureusement cachée et pour plonger sa langue envenimée tout au fond. Et j’aimais ça, oui j’ai aimé ça, j’aimais cette violence gratuite. Elle avait cette supériorité qu’inspirent les psychopathes… Ces personnes qui comprennent intellectuellement les sentiments, mais ne peuvent pas les ressentir. Elle en était devenue une. Je l’admirais et ainsi je devenais sadique, je perdais mon humanité.
Puis quand elle avait fini sa violence psychologique, quand elle n’avait qu’une loque devant elle, elle s’approchait…
Avec moi, elle fut plus longue pour prendre la parole. Je n’avais pas les symptômes des victimes, j’avais appris à m’anesthésier le cœur. Grâce à elle, et elle le savait, j’avais perdu la saveur de mal-être profond qui donnait du relief et de l’intérêt à ses victimes.
« Tu cherches à savoir ce qu’il va se passer, n’est-ce pas ? Tu es seule ici et tu sais que je te suis supérieure. Insensible à la souffrance tu as quand même peur de moi.»
Je ne répondis pas. Elle n’avait pas raison, mais elle n’avait pas tort non plus. Malheureusement. Elle s’affirmait en me rabaissant et cherchait à me faire perdre pied en une seule p        arole.
Elle décida de s’avancer et instinctivement je reculais, mais je m’arrêtais aussitôt. Je me devais de l’affronter. C’est moi qui fis un pas en sa direction. La confrontation avec la désillusion de ma vie prenait forme et l’assurance dont je me sentais incapable un jour auparavant, germait au fond de moi. Sa main chaude glaça ma joue qu’elle caressa doucement, calmement. Un instant, j’ai cru à une caresse amicale voire sentimentale… Puis son regard m’affronta. Une larme ardente s’échappa de ses yeux de braises. Je ne compris pas pourquoi à ce moment précis elle s’offrit le luxe de baisser sa propre garde. Au lieu de lire de la pitié ou de la culpabilité dans son regard, une violente sensation de haine et de vengeance apparue. Me foudroyant du regard, elle caressa mes cheveux. Ses yeux si verts, si beaux, si purs, cohabitaient avec ses pupilles si noires, si dangereuses, si cruelles... Enfin ses larmes libéraient cet oxymore que ses yeux ne pouvaient plus retenir. Les sentiments qui emplissaient Crystal étaient trop durs pour cohabiter dans le même regard, le même esprit, le même corps. Elle se pencha sur moi, et de sa bouche élégante déposa un baiser sur mes lèvres gercées. Une douce perle roula à ce moment sur ma peau.
            L’image du rayon vert m’éblouis soudainement. Je perdis l’équilibre devant la force de cette image. Une bouffée d’humanité m’envahit instantanément. Je ressentis une souffrance réelle au fond de moi, comme la douleur de tous ceux à qui on avait pris la vie. Et pour quoi ? J’en avais oublié le but ultime. Des larmes roulèrent le long de mes joues creusées, elles s’évadaient de ce regard si sec qui pendant des années avaient dominé mes émotions. Je redécouvrais ce que c’était que d’avoir des sentiments. Une vague vivifiante me submergea. Une vague glacée et chaude de sentiments d’amour et de souffrance. Je ne comprenais pas ce qui se passait en moi. J’avais l’impression que les vies volées se libéraient des effluves florales pour pénétrer mon cœur. Et je comprenais en même temps pourquoi un instant plus tôt Crystal n’avait pu retenir son trouble dans ses pupilles brillantes. Elle avait senti que je n’étais plus la même déjà, qu’elle m’avait perdue. Mes jambes ne résistèrent pas sous le poids de ce déferlement d’émotion. Je m’écroulais par terre. Elle, ce serpent, s’était éloignée de moi, tout aussi surprise. Ce qui m’arrivait était si fort, que j’eus un éclair éblouissant de lucidité. En un mouvement, je me levais, repoussais cette femme qui se tenait devant moi contre ses fleurs. Je la poussais le plus violemment que je pus espérant la briser contre ses créations ignobles. Je bousculais la chaise sur mon passage, et je courus. Ouvrant la porte d’un geste si brutal que la vitre se brisa, je courus le plus loin possible. Je n’avais plus de souffle mais je continuais, loin, encore plus loin. Je traversais ces paysages, ces chemins si souvent traversés, ces allées sinueuses que je connaissais par cœur. Je ne m’en rendais même pas compte, je fuyais. Je fuyais mon passé, je fuyais cette femme, je me fuyais. Si quelqu’un avait été présent à ce moment, il aurait observé une chose étonnante… Une femme cadavérique, entre l’adolescence et l’âge adulte, courant à perdre haleine, pleurant, criant, tombant, se relevant, courant de plus belle, le regard hagard, les gestes désordonnés … Une image terrifiante qui m’aurait certainement choquée si j’avais pu me rendre compte de ce à quoi je ressemblais en cet instant.
Lorsque d’un commun accord mes poumons, mes membres et ma tête n’en purent plus je m’arrêtais. Mes pas m’avaient ramenés au bord de l’océan. Mes yeux avaient épuisé leurs réserves de larmes. Le soleil avait lui aussi terminé sa course folle derrière le rivage depuis de longues heures. Eclairés par la lune, des nuages argentés bercés par la brise nocturne se mouvaient suivant la marée. Ils se reflétaient dans le miroir de l’océan. Une étonnante sensation prenait place en moi. Je ne la connaissais pas, je la découvrais et voulais l’apprivoiser. C’était comme si un foulard de soie tapissait mon cœur et mon esprit, dans un cocon doux, frais, réconfortant. Comme si quelqu’un me prenait dans ses bras, les bras d’une mère aimante. Les bras rassurants d’un ami, d’un amour. Une sensation de protection ou de sérénité. Je n’avais jamais connu pareil sentiment. Mon visage se crispa, et je dus produire une grimace qui ressemblait à un sourire. J’étais vidée, épuisée, désemparée. En une journée j’avais éprouvée la plus grande haine, le plus grand désarroi ainsi qu’une sérénité face à ma mort d’apparence inévitable. Pour la première fois, ces sentiments connus et apprivoisés avaient été battus par une humanité, une sensibilité et d’autres sentiments que j’avais l’habitude de détruire et qui me dégoutaient chez les Hommes. Mon être entier semblait s’être fait aspirer toute sa vitalité. J’étais à nue. J’accouchais après de longues années sous contrôle, j’accouchais enfin de moi. Je renaissais à l’aube de mes 20 ans.
 
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