L'un des auteurs majeurs de la bande dessinée européenne, le Français Moebius, a été reçu avec les honneurs au Japon, le royaume du manga où la BD étrangère n'a jamais réussi à percer.Au cours d'une semaine de tournée à Kyoto (centre-ouest) et Tokyo achevée dimanche, marquée par trois conférences dans des amphithéâtres bondés et le vernissage d'une exposition, Jean Giraud, de son vrai nom, a vu son oeuvre
saluée par les célébrités des bulles et de l'animation japonaises, de Katsuhiro Otomo ("Akira") à Hayao Miyazaki ("Princesse Mononoke").
"Moebius a inventé un nouveau monde fantastique, ouvert de nouveaux horizons", estime Go Nagai, le créateur de la série télévisée UFO Robot Grendizer, appelée Goldorak en France. "Il est très populaire parmi les dessinateurs de ma génération", renchérit Jiro Taniguchi, 61 ans, l'auteur du manga "Quartier lointain".
En 50 ans de carrière, Jean Giraud a notamment signé, sous le pseudonyme Gir, la série western à succès "Blueberry" et transformé le dessin de science fiction, avec le cycle "L'Incal" ou "Arzach", sous le nom de Moebius.
Son imagination et sa technique lui ont valu de participer à des oeuvres importantes du cinéma d'anticipation, comme "Alien" de Ridley Scott ou "Abyss" de James Cameron.
A 71 ans, Moebius s'est replongé dans le monde du manga, découvert il y a plus d'un quart de siècle lors d'un premier voyage dans l'archipel. "J'étais retourné aux Etats-Unis où je vivais alors avec plusieurs livres, dont le travail d'Otomo qui commençait à prendre de l'ampleur", raconte-t-il à l'AFP. Le choc artistique est énorme. "J'ai eu la tentation de transformer mon style de façon radicale pour m'en rapprocher, car le manga n'avait pas à l'époque le caractère mode ou invasif qu'il a pris", se rappelle-t-il. Mais après quelques essais, l'auteur renonce: "Le style graphique et narratif étaient animés par quelque chose de culturellement étranger, impénétrable pour une personne déjà formée comme moi".
Moebius conserve son originalité et tente de s'exporter au Japon, en signant notamment le scénario du cycle d'"Icare", dessiné façon manga par Taniguchi. La tentative se soldera toutefois par un échec commercial, comme celles d'autres
bandes dessinées étrangères. "La BD européenne n'a jamais percé sur le marché japonais", constate Frédéric Toutlemonde, directeur éditorial d'Euromanga, une nouvelle revue où sont publiées, traduites en japonais, des bandes dessinées comme "Rapaces" ou "Blacksad".
Publiés en noir et blanc, sur papier fin, les mangas sont vendus à des prix imbattables pour les BD européennes en couleur et papier glacé. Le Japon "ignore même que des mangas sous d'autres formes existent ailleurs", déplore M. Toutlemonde, qui voit toutefois un signe encourageant dans le lancement d'un "cercle des amis de la BD" par des professionnels japonais.
La vague manga a pu déferler sur le marché français dans les années 90 grâce à un terrain favorable préparé, entre autres, par la diffusion à la télévision de dessins animés nippons dès la fin des années 70.
Aujourd'hui, les promoteurs de la BD espèrent la voir bénéficier de l'intérêt des dessinateurs japonais. "Des mangakas renommés sont venus en France. Taniguchi a toujours dit s'être inspiré de la bande dessinée franco-belge", note Corinne Quentin, directrice du bureau des copyrights français au Japon.
Signe possible d'un frémissement: un recueil de dessins de Moebius, "40 jours dans le désert B", sortira au Japon fin mai, et un éditeur nippon manifeste de l'intérêt pour son "monde d'Edena".
Source : Aujourd'huilejapon.com